L’assurance santé existe dans presque tous les pays du monde, cependant le modèle appliqué prend partout des formes différentes. Ainsi, et parce qu’il arrive souvent que l’on parle du modèle social français comme un modèle, il me semble intéressant de le mettre en perspective et d’envisager en quoi il diffère de ses voisins. Nous constatons d’une part qu’il existe dans le monde 4 “grands modèles”, que le modèle français s’appuie sur des spécificités propres, et qu’il s’ouvre sur des enjeux très particuliers et notamment sur le rôle de l’Etat, que je détaillerai.
Le système d’assurance santé anglais, dit de Beveridge, du nom de son concepteur en 1948 au Royaume-Uni, s’appuie sur un modèle de financement dit “universel”, l’uniformité des prestations rendues, et un financement par l’impôt. Le système de santé est très centralisé, avec un système national de Santé, et dans le cas britannique, le National Health Service. Il s’agit d’un modèle quasi largement nationalisé tant sur les soins que sur le financement, même s’il existe des assurances privées. Cela signifie donc que les centres de soins, et notamment les hôpitaux, sont nationaux, tout comme le système de financement.
On retrouve ce modèle également en Espagne, en Nouvelle Zélande ou à Hong-Kong. Les principales critiques que l’on retrouve autour de ces systèmes sont un engorgement du système de soins public et donc temps d’attente très long, une exclusion de certains soins (optique, dentaire), aucun choix d’orientation, un accès aux spécialistes uniquement via votre généraliste désigné, et plusieurs mois d’attente (jusqu’à 6 souvent). Même si elle est optionnelle, l’alternative disponible est un système privé finançable par une assurance privée coûteuse : on parle souvent de santé à deux vitesses.
Le système canadien, au financement nationalisé géré par l'État (soins de base financés majoritairement par des taxes, avec un partage équitable entre les impôts sur les entreprises et les revenus des particuliers, et les mieux nantis paient proportionnellement plus) avec des soins prodigués par des acteurs privés, sous administration des “provinces” mais avec des différences d’une province à l’autre. Ainsi, la partie assurance santé du modèle correspond presque exclusivement à un régime obligatoire public, mais il y aussi possibilité de souscrire à une assurance privée. On retrouve également ce système en Corée du Sud ou à Taiwan. Les principales difficultés rencontrées sont l’existence de listes d’attente pour l’accès aux soins, l’exclusion du dentaire et de l’optique, mais aussi l’exclusion du remboursement des médicaments d’ordonnance par le système.
Nous le voyons, dans les deux cas, le recours à la privatisation, et donc un financement personnel des dépenses et un accès à des opérateurs de soins privés reste souvent l’option pour un accès à de meilleurs soins ou une meilleure prise en charge. Cela instaure donc un déséquilibre notable entre ceux qui peuvent se le permettre et ceux qui restent sur le bord du chemin.
Enfin, le modèle d’assurance santé Allemand, dit de Bismarck, dont s’est inspirée la France. Ses principes reposent sur une assurance obligatoire, financée au départ sur le travail (entreprises et employés) grâce à des cotisations sociales qui ne sont pas proportionnelles aux risques mais aux salaires. Le financement et l’assurance sont en général privés, une part importante est donc donnée aux employeurs dans le financement, ce qui en fait une limite importante pour toutes les populations éloignées de l’emploi. Nous reviendrons plus en détail sur la manière dont la France s’est inspirée de ce modèle.
A noter enfin, les Etats-Unis constituent un mélange de ces différents modèles. Ils restent très majoritairement sous fonctionnement privé (soins et financement), avec toutefois deux systèmes d’Assurance maladie obligatoire financés par l’impôt et les cotisations (Medicare pour les personnes de plus de 65 ans ou handicapées et Medicaid pour les familles aux faibles ressources), ainsi qu’un modèle très particulier de "Managed Care Organization” (MCA), partenariats entre des financeurs de soins (entreprises) et des fournisseurs de soins, certains allant jusqu’à l’intégration complète de ces organisations de soins aux compagnies d’assurance privées, avec des regroupements de soignants, des impacts entre liberté de choix du praticien et le coût pour l’assuré. Il existe enfin de nombreuses initiatives en termes de prévention dans ces MCA.
Comme nous venons de le voir, il existe en France, une vraie dichotomie entre les employés et ceux qui ne le sont pas. En effet, le financement étant pris en charge à travers les employeurs, les jeunes, les retraités ou les personnes sans emploi ont bien souvent des difficultés dans le financement de leur couverture d’assurance santé. Cela suppose donc un ajustement du modèle pour ces populations avec, soit une participation publique plus importante, soit des modèles permettant aux assureurs complémentaires de mutualiser les coûts plus largement. C’est ce qui explique que certains pays, dont la France, aient introduit des exceptions dans ce modèle. Cette dernière s’étant également inspirée du modèle Anglais (Beveridge) pour y installer une dimension universelle, avec une part importante de gestion publique, sur laquelle s'appuie un financement privé dit “complémentaire”. Un ensemble de pays africains francophones ont développé - ou développent actuellement- des modèles identiques au nôtre. Concernant le modèle de soins en France, sa cartographie est particulièrement complexe : hôpitaux publics, privés, privés à caractère non lucratif, ou encore professionnels de santé libéraux sous convention avec l’Assurance Maladie. Il existe de profonds changements en cours visant à mieux coordonner les soins, à rapprocher les praticiens, ou encore à réduire l'empreinte de l’hôpital au sein du système (désengorger les urgences, développer les soins de jours, l’hospitalisation à domicile), mais avec un grand absent : une politique de prévention mobilisant tous les acteurs.
Cette recherche d’équilibre est au cœur du débat à venir sur l’évolution de la protection sociale des fonctionnaires, dont les équilibres actifs-retraités sont gérés aujourd’hui par des assureurs complémentaires qui cherchent à mutualiser le risque sur une population globale. Quel sera alors le levier de la réflexion pour demain : comment aller chercher plus d’équité entre la situation des salariés du public et du privé, mais sans rompre avec la solidarité intergénérationnelle et sans diviser ainsi la société… Il faudra donc trouver des passerelles entre le financement des actifs et des retraités, mais dans ce cas sous quelle forme ?
3 enjeux de premier niveau apparaissent ici :
Dans un mécanisme bipartite entre un acteur public et un acteur privé, mais au financement partagé (notamment par les employeurs), il reste de la place pour un financement individuel qui va au-delà de cette couverture. C’est ce que l’on constate en France dans les modèles des sur-complémentaires. Cela permet à ceux qui le souhaitent de renforcer leur couverture en cas de risques spécifiques notamment, ou plus simplement pour une volonté d’être mieux protégés.
La multiplicité des facteurs complexifie les échanges entre un souscripteur (souvent l’employeur pour ses salariés), un payeur et des bénéficiaires couverts. Cette modélisation est souvent un enjeu crucial du point des outils de gestion, problématique que nous connaissons bien, car il s’agit à la fois de gérer la multiplicité d’acteurs et de rôles, mais aussi les interactions entre tous ces acteurs. C’est l’occasion de rappeler l’importance en France des flux largement industrialisés de Tiers Payant, qui traitent automatiquement l’essentiel du paiement des dépenses de santé entre les professionnels de Santé, la Sécurité Sociale et les assureurs complémentaires privés.
Le système français de l’assurance santé s’avère plus complexe que la plupart des autres modèles internationaux notamment par sa multiplicité d’acteurs qui sont concernés. C’est notamment sur cet axe que nous avons acquis une vraie force et une valeur ajoutée importante dans la gestion des flux qui transitent entre chacun de ces acteurs. Toutefois, c’est peut être aussi grâce à cela que notre modèle peut être fort, viable et malgré quelques critiques, globalement inclusif.
A la lecture de ces différents modèles et des débats récurrents en France sur la répartition entre Régime Obligatoire et Régime Complémentaire, il est légitime de s’interroger sur la bonne place que doit prendre l’Etat dans ce système.
Nous avons aujourd’hui en France un Etat protecteur, pour tous, et qui est garant de la stratégie et des objectifs nationaux de Santé, notamment à travers le budget annuel de la Sécurité Sociale. Il s’agit d’une véritable solidarité nationale, et, nous l’avons vu, c’est aussi pour cela qu’il est envié et copié ! Toutefois ce rôle régalien impose-t-il un « tout état » dans l’exécution de cette stratégie ? Pour le formuler autrement, est-il souhaitable et possible de s’orienter vers un modèle plus anglais ?
Pour ma part je pense que non, bien au contraire ! Il suffit de se pencher sur une description de l’ensemble des organisations publiques, comités, commissions en tous genres impliqués dans l’organisation du système de santé pour visualiser la lourdeur, les contradictions, voire l’immobilisme dans certains cas, alors même que la vélocité peut être critique notamment en temps de crise. Et ce, sans même parler des coûts attachés à cette complexité, dont la courbe ne s’est toujours pas inversée… La solidarité nationale seule n’est ni efficace, ni souhaitable.
Alors, tirons avantage des investissements privés et des innovations dans la eSanté qui ont démontré, y compris dans la période de crise sanitaire, qu’ils sont facteurs de progrès (c’est l’exemple de la téléconsultation), tirons avantage des organisations territoriales qui sont les mieux placées pour mettre en place une stratégie en tenant compte des spécificités et des atouts de leur territoire, réfléchissons ensemble au modèle de santé que nous appelons de nos vœux, et de nos votes ! Cette réflexion peut bien sûr s’inspirer des réussites de nos voisins et en les adaptant pour tenir compte de notre démographie et des enjeux spécifiques attachés à notre situation : le vieillissement et une anticipation de besoins exponentiels autour de la dépendance, un système de soins qui doit muter en système de santé, pourquoi pas en motivant les acteurs sur le résultat : maintenir nos concitoyens en bonne santé.
A la lumière de tous ces éléments, les assureurs complémentaires ont définitivement un rôle décisif à jouer dans notre futur modèle de santé. Ils ont largement démontré leur capacité à investir, à innover et développer des initiatives porteuses de sens, que ce soit auprès des entreprises, ou en régions avec des approches innovantes autour du vieillissement, ou encore en soutien aux aidants, les exemples sont nombreux.
J’espère que tout ceci sera au cœur des débats à venir pour les prochaines élections nationales, et qu’on ne nous sortira pas de vieilles recettes face à ces enjeux colossaux ; ou alors nous n’aurons décidément rien appris de la crise que nous traversons encore.
Pour avoir plus d’informations sur ce sujet, les équipes de Cegedim Insurance Solutions sont à votre disposition pour répondre à vos questions.